FULL TEXT: Yvette Lelièvre, with the help of her husband and her mother got rid of - usually by drowning - seven children she had given birth to, then she incinerated or buried their corpses in her garden at Saint-Pierre-lès-Nemours. This alarming discovery which was made by police in April 1969, would perhaps never have occurred had not an anonymous letter been put in the mail on April 2, the day the last of the murdered children was incinerated (because there was no more room in the garden for baby corpses).
Successive pregnancies of Yvette Lelièvre – or one might
say, her permanent state of pregnancy -- never particularly attracted the
attention of neighbors, who were never surprised to see that the family had no
more than five children. All seemed to
remain perfectly normal. Instead, the neighbors say Lelièvre are good people,
and defend them.
The Assize Court nevertheless is likely to have a different
view and to take exception to the excuses of the baby-killer family.
Take this example of Yvette’s reasoning: “I kept the first
child because we wanted to reach family allowances and get a loan to buy the
house.”
Neither the couple nor Yvette Lelièvre’s mother, have
expressed to investigators any remorse for their actions. Moreover, she seemed
not to understand the case against her. For her, getting rid of surplus
newborns seems to be a simple case of "family planning" - except that
the meaning of the word is unknown savant to the Lelièvre family, even though
they are not simple-minded.
[Free translation of “The monstrous ‘family planning’ of
Lelièvre,” Archives Larousse, Apr. 1969]
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FULL TEXT: Un si joli
petit jardin: Sept fois, les « monstres » de Nemours ont tué et enterré les
enfants qu’ils ne pouvaient pas faire vivre. En toute innocence...
A
Saint-Pierre-lès-Nemours, le jardin des Lelièvre a été saccagé par les gendarmes et les pompiers. C’était un petit
jardin bien entretenu, avec des arbres fruitiers et des espaliers fleuris. — « Si
c’est pas malheureux de voir ça, dit un jeune homme. Ils y travaillaient
tellement, dans leur carré...»
Sous
les espaliers fleuris, sous les arbres fruitiers, sept ddavres d’enfants
nouveau-nés ont été déterrés. L’ensevelissement avait toujours lieu la nuit.
C’était le mari, André Lelièvre, qui maniait la bêche. Oui, ils travaillaient
beaucoup dans leur « carré ». Ils travaillaient d’ailleurs partout et tout le
temps, parce qu’il n’y avait pas que les enfants morts, il y avait aussi les
enfants vivants. Ils étaient cinq, tous bien propres, bien nourris. « Et
polis avec les gens », disent les voisins.
Aujourd’hui,
les plus jeunes sont à l’Assistance. Ils n’ont plus de maison, plus de jardin,
plus de parents. Alors, pour beaucoup d’habitants de ce faubourg encore
campagnard, avec ses maisonnettes, ses vergers, ses potagers et ses fleurs, les
« monstres de Nemours », ce ne sont pas les Lelièvre.
La
malchance
Il y
a plusieurs manières d’aborder ce drame. On peut interroger les assistants
sociales — elles sont quatre pour les 40 000 habitants de Nemours et de
Château-Landon — les gendarmes — ils sont stupéfaits de l’inconscience, de
l’ignorance des Lelièvre et répandent « la meilleure » de l’enquête : Mme
Lelièvre a demandé : « Quand pourrai-je rentrer chez moi ? »
A
Saint-Pierre-lès-Nemours, on est plutôt stupéfait de l’ignorance et de l’inconscience
des gendarmes. Les voisins au début, ils ont été abasourdis, un peu épouvantés.
Et puis, comme tous les voisins du monde, ils se sont désolidarisés des coupables: « On n’aurait jamais cru ça. Ils avait l’air gentil. On
échangeait quelques mots : comme ça, en étendant le linge. Mais on ne se
fréquentait pas. »
Mais
maintenant, devant la maison vide, le jardin piétiné, les enfants
disperses et seuls, ils sont plutôt du côté des Lelièvre que du côté des
gendarmes, plus du côté des enfants vivants que du côté des enfants morts : « Ils
avaient déjà du, mal à en nourrir cinq, ils n’auraient pas pu en
élever des dizaines. Il faut comprendre.
A
quoi ça sert de les avoir mis en prison? » La réponse est évidente :
ça ne sert à rien. Mme Lelièvre ne comprend pas pourquoi e on
l’embête avec ces histoires ». Les cinq enfants ne comprennent pas pourquoi
ils sont orphelins. Les gendarmes sont les seuls à paraître sûrs d’eux.
Encore
cette certitude de la gendarmerie est-elle de fraîche date ! Ce drame, on peut
l’expliquer par bien des bouts, par l’ignorance, par l’insuffisance de
l’encadrement social, par
l’hérédité. Mais on peut aussi l’expliquer par les gendarmes. La malchance
qu’il a eue de n’être ni tout à fait citadin ni tout à fait paysan.
De vivre dans un endroit qui n’est ni tout à fait la ville, ni tout à
fait la campagne. Il existe, on va le voir, un lien direct entre cette
malchance et les gendarmes.
Faiseuses
d’anges
Seulement,
pour comprendre ce lien, il faut s’éloigner un instant de Nemours, et
interroger ce vieux médecin d’un petit village du Mâconnais. Pour lui, le
scandale de Nemours, ce ne sont pas les crimes de la mère:. « Le scandale,
c’est que les gendarmes de Nemours aient rompu la trêve tacite que la
gendarmerie a conclue, depuis sa fondation sous l’Empire, avec les infanticides
ruraux».
Et il
explique : « II y a, dans tout le pays, des grossesses qui se résorbent
mystérieusement, sans fruit, après avoir été jusqu’à leur terme.
On
en parle quelquefois à voix basse, jamais à voix haute. Ce sont der paysannes
pauvres qui travaillent, élèvent leurs enfants. Il ne viendrait pas à l’esprit
des gendarmes de venire y mêler leurs semelles à clous ». Voilà pour le
Mâconnais, mais il y a aussi ce médecin de Champagne.
« Chez
nous, les médecins n’avortent pas — comme partout. Et les faiseuses d’anges
demandent de l’argent. Alors, on laisse faire la nature et on s’arrange après.
— Et les gendarmes ? — Eh bien, les gendarmes, ça ne les regarde pas ». On
dira « Ce sont là de ces pays de vin, où la loi, on le sait, perd de sa force
». Mais des médecins de la Nièvre, de l’Ardèche, de la Creuse vous parleront
aussi de ces grossesses supportées jusqu’au bout et « résorbées sans fruit ».
Seulement,
Saint-Pierre-lès-Nemours n’est pas à la campagne, meme si d’anciens
paysans sont venus s’y établir, même si Ton y trouve des jardins et des
vergers. Et la gendarmerie, si elle observe les moeurs de la campagne
lorsqu’elle est à la campagne, suit les moeurs de la ville lorsqu’elle est en
ville. Alors, les gendarmes dei Nemours, qui, au cours de leur carrière, ont
fermé les yeux et rabattu la visière sur de nombreux cas d’infanticide rural,
ont fondu inexorablernent sur la malheureuse famille Lelièvre, ont reçu la
télévision, donné des conférences de presse. Pour les gendarmes, la rigueur est
une question d’affectation. Pour les Lelièvre, la malchance a été une simple question
de lieu.
Sous le, rosier
André
Lelièvre, par exemple, n’aurait jamais dû quitter la campagne pour la ville, où
ce qui était coutume devient crime. Il a travaillé très tôt aux champs, dès sa
sortie de l’école primaire. D’abord chez un fermier des enviions de Nemours,
puis, en 1943. chez un fermier de Hesse. Il a vécu la guerre mondiale, comme il
a assisté aux crimes de sa femme, sans bien comprendre.
Une
fein e est une ferme. Dans la campagne française, il en a vu des gosses ne pas
naître, ou naître pour aussitôt mourir. Dans la campagne allemande, mêlé aux
commandos de volontaires féminins du S.T.O., rien n’est venu lui enseigner le
respect religieux de la vie. La captivitérd’ailleurs, ne l’a pas changé, ne l’a
ni perverti ni dégrossi. Le service forcé en Allemagne se confondait pour lui
dans la longue suite des travaux et des jours. Il est revenue tel qu’on Pavait
vu partir : un jeune paysan gauche aux joues couleur de brique et au long nez
saillant.
A
Nemours l’attend l’usine, et une fille. L’usine, ce sont les établissements
Joubert Tierceau. La fille, c’est Yvette Pingot la fille de Mme Pingot, comme
on l’appelait alors. Il la rencontre au bal du Parc Fleuri (toute cette
histoire se déroulera jusqu’à la fin au milieu de fleurs, nuptials ou tombales
selon les époques). Yvette a mauvaise réputation. Elle « fréquente », murmure-t-on. C’est une fille un peu
sèche, enlaidie par des lunettes. Son adolescence, elle l’a vécue dans la
hantise de la grossesse, qui désigne, dans les petites villes, une fille aux
sarcasmes, à la réprobation, qui
la marque, l’isole. Sa mère, Mme Pingot, est aussi terrorisée qu’elle. C’est
une dame coquette, frisottée.Un jour, il lui arrivera de « dépanner » sa fille, avec les moyens du bord. Un an
à peine avant le mariage d’Yvette avec André Car ils se marient.
Ces «
monstres » ont une vie édifiante, et dure. Quatre enfants entre 1951 et 1955,
la maison pour la femme, l’usine pour le mari ---- la Sorivel,
Gagneaux-sur-Loing. Les enfants vont à l’école, propres, bien habillés. Mais le
mari, qui travaille le jour et une partie de la nuit, est épuisé, hagard. Mais
la femme s’abîme, se renf rogne, ne s’habille plus. Quelques heures de paix.
Des dîners en famille, les soirs d’été, sous le rosier du jardin. Sous ce
rosier où les gendarmes devaient déterrer plusieurs corps.
Une tâche familiale
En
1956, Yvette met au monde une fille. Chez elle, avec l’aide de sa mère. Puis
elle attend son mari qui rentre à 20 heures 30. André regarde le bébé et hoche
la tête. Puis il va au jardin faire un peu de sarclage. Il ne s’arrête que lorsque Yvette l’appelle pour lui tendre un paquet minuscule.
Alors André prend une bêche et cherche un coin pour y creuser une tombe. Il
cherche un bon moment, parce qu’il ne veut pas abîmer son jardin, qui commence
a prendre tournure.
Ce
qu’il y a de plus effrayant dans ce rite, qui se reproduira sept fois, ce
n’est pas le meurtre du nouveauné, c’est le silence, ce sont ces gestesde mort
accomplis sans y penser, dans la grisaille ,quotidienne, comme une tâche
familiale, cette sûreté de fossoyeur qui se confond avec l’habileté du
jardinier.
Jamais,
an cours des sept meurtres-, la femme ne tuera l’enfant avant le retour -- du
père, sans l’avoir présenté au père, sans cette autorisation muette, faite de
résignation mais aussi de solidarité. Yvette et Andréauront partagé leur enfer.
Et
leur innocence. Après le premier meurtre, Yvette a un garçon, Jean-Mare. Elle le garde parce qu’ils ont trouvé un logement plus grand. Mais, quelques
années plus tard, le petit Jean-Marc mourra écrasé sous la voiture du
boulanger. Ces «monstres» ne tuent que par devoir. Ils tuent ce qu’ils ne
pourraient pas faire vivre, ce qu’ils ne pourraient pas aimer.
En
1963, Yvette acceptera encore un garçon, Jean-Jacques. « Pour remplacer le
petit Jean-Marc, dira-t-elle aux gendarmes. Vous comprenez? ». Les
gendarmes ont souligné cette réflexion comme une preuve de monstruosité. Mais
les époux Lelièvre avaient voulu simplement racheter un enfant mort par un
enfant vivant. Le 2 avril 1969, le dernier enfant d’Yvette n’a pas été noyé dans une lessiveuse. Il
a é-té arrosé de pétrole et brûlé dans un cendrier de cuisinière. Il
n’y a eu qu’a disperser les cendres. Parce que le jardin était maintenant
entièrement cultivé et qu’il n’y avait plus de place pour une fosse.
Les
époux Lelièvre étaient arrives au bout de leurs ténèbres. Ils n’avaientplus de
place ni pour la vie ni pour la mort. Quelques jours après, une lettre anonyme
parvenait à la gendarmerie. Les gendarmes, eux, ont de la place. Dans les
prisons.
FRANÇOIS CAVIGLIOLI
[Francois Caviglioli, “Un si joli petit
jardin...” Le Nouveau Observator, 5 mai, 1969, 24-25]
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